Former autrement pour entreprendre solidairement
Leçon 5 La primauté de la finalité sociale
Dans cette leçon :
La finalité sociale est la raison d’être de l’entreprise sociale, c’est ce qui lui donne du sens et de ce fait est apte à motiver et à mobiliser les individus qui en font partie. C’est, avec la solidité de son l’organisation, ce qui fait sa force.
•Cette finalité s’exprime dans la mission et la vision de l’entreprise, qui sont les raisons pour lesquelles elle exerce son ou ses métiers.
C’est la tâche première de l’entrepreneur social que de formuler cette mission. cette vision, et le ou les métiers correspondants.
•Pourtant l’entreprise sociale recherche en même temps des revenus propres et aussi des bénéfices : elle est une organisation à moyen et non pas à but lucratif. C’est pourquoi son principe de base est la primauté de la finalité sociale sur la non moins nécessaire rentabilité.
•En contraste, l’entreprise capitaliste n’existe que pour le profit, ainsi que le prescrit la loi :
La société commerciale est créée ... dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter. (OHADA - Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, article 4)
Selon la lettre de la loi, une entreprise sociale est illégale puisqu’elle refuse que son but soit de « partager le bénéfice ».
Dans l’entreprise capitaliste, la mission, quand elle existe, ne sert qu’à enrober la recherche du profit d’un voile de pudeur (c’est du « social washing »).
La mission sociale de l’entreprise capitaliste est de faire des profits. (Milton Friedman, économiste du néo-libéralisme)
En entrepreneuriat social, la mission exprime la véritable raison d’être de l’entreprise, son « objet social » en jargon juridique. Elle répond à la question : quoi pour qui? En entrepreneuriat social alternatif, la mission a deux dimensions, spécifique et générale.
La mission spécifique
Cette mission est liée à l’activité particulière de l’entreprise. Elle proclame que si l’entreprise existe, c’est pour :
•générer, selon la nature de ses produits et services, certains bienfaits particuliers (matériels, psychologiques, culturels, écologiques, sociétaux),
•présentant une réelle utilité sociale,
•du fait qu’ils répondent à des besoins réels (non pas superficiels ou générés par la publicité),
•au bénéfice de certaines couches de la population au sein du peuple (travailleurs salariés, paysans, artisans, petits commerçants et entrepreneurs, chômeurs, certains intellectuels, ...)
La mission générale
Du fait de son activité particulière, toute entreprise produit aussi des effets sur l’ensemble de la société. La mission générale exprime les impacts délibérément recherchés par le projet d’entreprise au niveau de toute la société.
Ces impacts peuvent se manifester :
•dans tout domaine de la vie en société : économie, culture, éducation, santé, politique, cadre de vie, environnement, etc.,
•au niveau des individus (responsabilisation, autonomisation),
•à diverses échelles territoriales : locale, régionale, nationale, internationale.
Les impacts positifs recherchés et obtenus sont explicités lors de L’évaluation du projet d’entreprise sociale. Ils constituent autant de justifications du bien-fondé de son projet.
Illustration : La mission et les impacts sociétaux de NENA
Exercice : Formulez la mission de votre entreprise en vous aidant des phrases suivantes :
Proposer / Offrir / Fournir, à / pour [clients], cette [offre non détaillée], répondant à ce [besoin], et permettant cet [impact].
Favoriser [impact], à / pour [client], en répondant à leur [besoin] avec / en leur fournissant / par le biais de [offre non détaillée].
La vision répond à la question : au final, que voulons-nous réaliser?
La vision exprime, en termes généraux, une utopie concrète, réalisable, c’est-à-dire :
•la situation dans laquelle se trouvera l’entreprise dans 10-50-100 ans, et le rôle qu’elle y jouera dans son secteur d’intervention;
•les caractéristiques essentielles d’un état futur de la société que l’entreprise aura contribué à réaliser, autrement dit sa participation à la réalisation d’un projet de société.
Certes les détails de cette destination se précisent en cours d’action, mais il est possible et nécessaire de définir les principes généraux appliqués et les traits essentiels d’un état futur.
Illustration : La vision de NENA
Exercice : Formulez la vision de votre entreprise
5.3Le métier
Le métier dit comment l’entreprise accomplira sa mission pour réaliser sa vision, c’est-à-dire :
•quelles activités (professionnelles, productives),
•dans quel secteur de l’économie,
•avec quelles compétences qui sont les siennes,
elle entend mener.
Attention : plusieurs métiers peuvent se combiner au sein d’une même entreprise à condition d’être complémentaires ou synergiques. Se disperser sur une diversité d’activités sans rapport est une erreur stratégique.
Illustration : Les métiers de NENA
Exercice : Formulez les métiers de votre entreprise
La primauté n’est pas l’exclusivité. Si la finalité sociale est prioritaire, elle l’est pas rapport à une autre chose qui est secondaire. Cette autre chose, c’est la lucrativité.
En capitalisme, la lucrativité ou profitabilité est la finalité exclusive et se veut maximale. La « responsabilité sociale des entreprises (RSE) » n’est qu’une tactique de camouflage.
En entrepreneuriat social, le mot « social » désigne la primauté des impacts sociaux, mais ne signifie pas philanthropique ou charitable, avec en conséquence l’interdiction des bénéfices comme dans les OSBL.
La lucrativité fait partie de l’entreprise sociale. Sinon c’est la mettre dans la dépendance de ses bailleurs et la contraindre à lui faire perdre son temps à chercher à les séduire en leur proposant ce qu’ils veulent entendre, non pas ce dont le peuple a besoin. Sans compter les tortures intellectuelles à inventer des histoires compatibles « GAR » (Gestion Axée sur les Résultats), à subir de longues procédures bureaucratiques d’une complexité et irrationalité recherchées.
Pour répondre aux besoins véritables du peuple, pour durer, l’entreprise sociale doit être le plus possible autonome financièrement. Elle doit donc pouvoir générer des bénéfices. Les vraies questions sont :
•Quel niveau de profit rechercher?
Réponse : un niveau non pas limité, ni maximal, mais optimal.
La lucrativité optimale est celle qui permet de réaliser au mieux la mission sociale de l’entreprise tout en générant le meilleur bénéfice possible.
Ce qui veut dire accepter de faire moins de profits pour mieux atteindre les objectifs sociaux. Inversement, c’est aussi parfois baisser la barre des objectifs sociaux visés si le maintien de l’organisation requiert une consolidation financière. La lucrativité optimale n’est pas une recette, c’est un défi, celui d’appliquer le principe de l’optimalité en fonction des circonstances, de trouver le meilleur équilibre entre les bénéfices sociaux et financiers.
•Que faire avec ces profits?
Réponse : réinvestissement d’abord, partage entre les partenaires ensuite.
Après le paiement des impôts, les réserves de sécurité, et le remboursement des dettes, tout surplus dégagé va prioritairement au réinvestissement, afin de permettre l’accroissement des bénéfices sociaux recherchés.
Après cela, au nom de quoi interdire aux partenaires de l’entreprise, entrepreneurs et travailleurs, la possibilité d’améliorer leur quotidien? Ce n’est qu’équité qu’ils participent aussi à l’usufruit de leur activité, dans un esprit de modération et non d’accumulation insatiable.
Pour la répartition des bénéfices voir la section L’autofinancement.
La primauté de la finalité sociale avec une lucrativité optimale, telle est la formule de l’entrepreneuriat social.
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