Former autrement pour entreprendre solidairement

Leçon 8 La stratégie de l’entreprise sociale

Dans cette leçon :

Les secteurs économiques

Les territoires

Les utilisateurs

Les produits et services

L’accessabilité de l’offre

Les ennemis

Les amis

Les ressources clefs non financières

Les ressources financières

La primauté de la finalité sociale sur la viabilité économique donne le but et la raison d’être de l’entreprise sociale.

La stratégie décrit comment elle va agir pour atteindre ce but.

La stratégie est la science et l’art, dans le contexte d’un conflit avec un adversaire et en interaction intelligente avec lui, de bâtir un rapport de forces supérieur par la constitution et l’exploitation de ressources et d’alliances, et d’exploiter ses forces dans des combats pour imposer sa volonté à l’adversaire ou le rallier, avec comme finalité la réalisation d’un projet.

L’entrepreneuriat social donne des réponses qui lui sont propres aux questions que pose toute stratégie d’entreprise :

sur quels terrains agir (quels secteurs économique, quels territoires)?

pour qui (utilisateurs, clientèle visée)?

avec quelles armes (produits et services accessibles)?

contre quels ennemis (concurrents)?

avec quels amis et alliés (partenaires)?

avec quelles ressources (matérielles, financières, etc.)?

8.1Les secteurs économiques

L’entrepreneuriat social alternatif concerne tous les secteurs de l’économie, pas seulement les secteurs dits « sociaux » dans le sens d’humanitaire. Autre­ment dit il ne se limite pas (comme pour certaines tendances du mouvement de l’entrepreneuriat social), aux secteurs non rentables pour les entreprises capita­listes.

Il s’exclue toutefois des secteurs nettement anti-sociaux : jeux de hasard, intoxicants, biens de luxe, armement, spéculation, prêts bancaires à intérêt, etc.

Dans un cadre capitaliste, l’entrepreneur social décide au mieux de son juge­ment de son secteur économique, en fonction des besoins sociaux qu’il identifie et de la mission sociale qu’il s’est assignée. Dans un contexte futur d’une société de démocratie associative, sa décision prendrait en compte les orientations d’un plan global de développement économique démocratiquement élaboré.

8.2Les territoires

S’intégrer dans la mondialisation est la stratégie préférée de l’entreprise capita­liste. Hors de l’exportation point de salut entendons-nous dire, parce que les riches qui sont solvables sont au Nord et les pauvres insolvables sont au Sud.

Pour l’entrepreneuriat social :

S’il faut répondre aux besoins sociaux, ceux-ci sont d’abord locaux, nationaux et régionaux.

Contribuer à la plus grande auto-suffisance possible du pays sur tous les plans (alimentaire, énergétique, sanitaire, ...) est un des impacts recherchés pour que la satisfaction des besoins humains ne dépende pas des aléas géopoli­tiques, et de la division internationale du travail imposée par le capitalisme des monopoles.

Cela ne signifie pas de renoncer aux opportunités d’exportation qui peuvent, tactiquement et secondairement, générer des revenus pour le développe­ment local, tout en apportant sa contribution au bien-être économique des peuples du monde.

8.3Les utilisateurs

Pour le capitalisme, les utilisateurs, ce sont des « segments de marché », c’est-à-dire des groupes de clients solvables : ceux qui ont les moyens de payer.

Pour l’entrepreneuriat social, ce sont des couches populaires identifiés avec des besoins légitimes à satisfaire, indépendamment de leurs moyens financiers.

L’entreprise sociale doit gérer cette situation où les besoins sont davantage d’un côté et l’argent plutôt de l’autre.

Si les moyens financiers et surtout la liquidité sont limités dans les classes popu­laires, ils ne sont pas nuls et le peuple a la force du nombre avec lui. Le bon pro­duit à petit prix pour le grand nombre peut être synonyme de rentabilité.

8.4Les produits et services

Pour l’entreprise capitaliste :

Un bien économique représente avant tout une valeur marchande à capturer : l’utilité du bien, qu’elle soit réelle, superficielle, imposée par la publicité ou nulle, est secondaire; elle ne sert que d’argument pour justifier la valeur monétaire;

La qualité doit être seulement suffisante pour permettre la vente et ne doit pas l’empêcher, d’où l’obsolescence programmée pour forcer le réachat pério­dique.

Pour l’entrepreneuriat social, les produits et services sont les moyens avec les­quels l’entreprise sociale cherche à obtenir le consentement et l’adhésion des utilisateurs visés à son offre économique. C’est pourquoi :

Les biens ont d’abord une valeur d’usage, du fait qu’ils offrent à l’utilisateur des avantages et bénéfices permettant de satisfaire de réels besoins humains.

La qualité et la durabilité doivent être maximales dans les limites des capaci­tés productives, avec de claires spécifications techniques des biens offerts, leur homologation indépendante si possible, un service après-vente rigou­reux, des garanties de remplacement.

Les biens sont respectueux de l’environnement, avec des produits répa­rables, démontables, réutilisables, recyclables, non toxiques, partageables (ce qu’on appelle l’éco-conception).

8.5L’accessabilité de l’offre

Les produits et services offerts doivent aussi être accessibles aux couches popu­laires visées, physiquement et financièrement.

Pour l’accessabilité physique, l’entreprise sociale privilégie les circuits de distri­bution courts avec le moins d’intermédiaires possibles pour diminuer les faux frais, réduire les coûts environnementaux, augmenter la fraîcheur des produits périssables.

L’accessabilité financière dépend des prix des produits et services et des reve­nus des utilisateurs visés.

Pour l’entreprise capitaliste :

Les prix peuvent être aussi élevés que permet la capacité de payer de ses clients, tout en tenant compte de la compétition.

À l’interne, les écarts de rémunération entre dirigeants et travailleurs réduit les moyens financiers de ces derniers.

Pour l’entreprise sociale :

Pour permettre aux classes populaires d’accéder à ses produits et services, l’entreprise sociale pratique les prix les plus bas possible, compatibles avec l’autofinancement recherché.

Elle tend même vers la gratuité en socialisant les coûts si possible, c’est-à-dire en les faisant supporter par la société.

Des produits diversifiés avec un haut de gamme et un moyen de gamme peuvent permettre aux utilisateurs plus fortunés de supporter les coûts de produits bas de gamme d’une qualité satisfaisante.

Deux grilles de prix, moins chers au Sud, plus chers au Nord, se justifient plei­nement en compensation des différences non justifiées des rémunérations imposées par l’impérialisme dans sa composante économique.

Pour augmenter les moyens financiers du peuple, l’entreprise sociale applique les principes d’un revenu maximum et d’un écart maximal des rémunérations (par exemple de l’ordre de 1 à 4 entre le mieux rémunéré et le moins rémunéré).

8.6Les ennemis

La réalité du capitalisme n’est pas la concurrence entre de multiples entre­prises, mais la domination dans chaque secteur de l’économie de quelques monopoles ou oligopoles. Leur but : dominer exclusivement, élimine ou, absor­ber les autres acteurs, les réduire à des sous-traitants, ou les confiner dans des niches non rentables.

Dans son secteur, l’entreprise sociale identifie et nomme clairement ses enne­mis, à savoir les monopoles de son secteur, avec qui aucune collaboration stra­tégique n’est possible.

8.7Les amis

Le capitalisme cherche à éliminer les concurrents.

L’entrepreneuriat social cherche pour la majorité à en faire des alliés.

Avec les petites et moyennes entreprises du même secteur sans ambitions monopolistiques, l’entreprise sociale :

suscite une saine émulation par l’ampleur et la qualité de ses impacts socié­taux et environnementaux : c’est sur ce terrain que les entreprises sociales sont véritablement en concurrence;

cherche toute forme de coopération.

C’est la forme de leadership et de « compétitivité » des entreprises sociales.

8.8Les ressources clefs non financières

Tout projet d’entreprise se réalise avec certaines ressources clefs non finan­cières. L’identification et l’acquisition patiente et prolongée de ces ressources indispensables pour la réalisation d’un projet est aussi une composante essen­tielle de toute stratégie.

Selon les métiers de l’entreprise, ce peut être certaines compétences, des tech­nologies, des équipements, des matières premières, des sources d’énergie, des accès à des clientèles, des fournisseurs, des partenaires, etc.

Le consommer local

Plutôt que de rechercher n’importe où sur le marché mondial, l’entreprise sociale identifie d’abord les ressources disponibles à proximité et privilégie le consommer local, national et panafricain par rapport à l’importation.

Ce qui ne signifie nullement de renoncer à importer des technologies avancées à condition qu’elles soient :

non disponibles localement,

adaptées aux conditions locales,

maintenables (accès aux pièces de rechange),

intensives en main d’œuvre.

Les modes d’acquisition

Le mécanisme d’acquisition de ces ressources n’a pas à être limité à celui de l’achat sur le marché, qui est le seul concevable pour le capitalisme.

Une entreprise sociale peut accéder à des ressources externes par :

la réciprocité, c’est-à-dire l’échange non monétaire mais à la valeur équiva­lente des biens échangés;

le don et le contre-don, où le don est conçu comme un investissement à risque dans l’attente d’un contre-don éventuel, sans aucune obligation de réciprocité ni de valorisation équivalente;

le paiement en monnaie locale de biens et services de proximité.

Ces mécanismes réduisent d’autant la part du marché capitaliste dans la réparti­tion des biens, au bénéfice du renforcement des relations sociales collabora­tives entre partenaires économiques.

8.9Les ressources financières

La stratégie de l’entreprise sociale doit porter aussi sur l’acquisition de cette autre ressource souvent nécessaire qu’est l’argent. L’entreprise sociale ne se finançant que par la finance sociale, le défi est d’identifier et de solliciter les sources possibles d’un financement social participatif.

L’autofinancement

Autofinancer l’entreprise à partir de ses propres bénéfices demeure le meilleur objectif assurant à terme la continuité et la croissance de l’entreprise.

Ce schéma montre comment le véritable revenu de l’entreprise, à savoir sa valeur ajoutée, est réparti entre les coûts et les surplus, et comment ces der­niers sont eux-mêmes sous-répartis, entre notamment le réinvestissement et le partage entre les partenaires de l’entreprise.

Pour une explication détaillée lire ceci.

Les banques islamiques

Elles sont une source improbable de financement par mousharaka.

Elles ont des ratio prudentiels à appliquer (relation entre dépôts et liquidités).

Leurs ressources à court terme ne peuvent pas en principe servir à financer à long terme.

Surtout leur culture bancaire, intolérante au risque et obsessionnelle de la garantie, s’y oppose.

Elles ne financent pas des méso projets pour lesquels ses coûts de gestion internes sont équivalents à ceux des méga projets qu’elles préfèrent.

Si elles voulaient aider les entreprises, elles pourraient et devraient proposer :

le salam aux entreprises pour leur fonds de roulement;

des comptes d’investissement à ses clients pour collecter des fonds en vue d’investissements en Moudharaba.

Mais elles ne le font pas, se contentant de proposer la mourabaha et l’itjira (équivalent du crédit bail), parce que dans ces deux cas elles détiennent un bien en garantie.

Les institutions de micro-finance

Elles sont des mini-banques partageant la même culture que les banques, sou­vent avec des taux d’intérêt encore supérieur.

Toutefois les programmes en faveur de la micro-finance islamique créent des opportunités pour le financement participatif de micro-entreprises sociales.

Un Fonds d’investissement participatif

Un Fonds d’investissement est un type d’institution financière différent des banques. De tels Fonds pratiquant la finance participative, rares ou inexistants, seraient la solution logique pour le financement par mousharaka de méso entreprises sociales.

Les investisseurs sociaux

Un Fonds d’investissement participatif est alimenté par des investisseurs sociaux :

soit des individus (anges financiers islamiques, diaspora),

soit des institutions (fonds publics, institutions islamiques),

qui acceptent :

d’investir uniquement dans des entreprises sociales,

en appliquant les règles de la finance participative (mousharaka).

Les investisseurs sociaux sont les nouveaux partenaires de l’entreprise sociale, remplaçant les actionnaires, banquiers, spéculateurs, capital-risqueurs du sys­tème capitaliste.

Moudharaba

Le contrat de moudharaba gère la relation entre le Fonds et les investisseurs sociaux qui y apportent leur argent. Par ce contrat, l’investisseur social :

confie au Fonds le bon usage de son épargne pour le bénéfice de l’investis­seur;

détermine avec le Fonds si les investissements faits grâce à son apport en argent seront :

soit restreints : à telle(s) entreprise(s), secteur, territoire, autre critère,

soit non restreints : le Fonds est libre de choisir;

ne participe pas à la gestion des entreprises financées (contrairement à la cogestion du Fonds dans le cadre de la mousharaka);

partage avec le Fonds les bénéfices que celui-ci touche du fait des ententes de mousharaka avec les entreprises.

Une moudharaba peut prendre la forme d’un contrat de fiducie. Voir Clauses d’un contrat de moudharaba

Pour en savoir plus, lire ceci.

Ce schéma résume l’ensemble des modes de financement éthique et participatif d’une entreprise sociale.

Au final, la stratégie d’une entreprise sociale est l’ensemble des réponses qu’elle donne aux enjeux ci-haut.

 

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