Former autrement pour entreprendre solidairement

Leçon 14 Les entrepreneurs sociaux

Dans cette leçon :

Qualités personnelles

Qualités professionnelles

Des savoir-faire pratiques

14.1Qualités personnelles

Pour qu’il y ait des entreprises sociales, il faut des entrepreneurs sociaux : ceux et celles qui initient, conçoivent, animent, guident un projet d’entreprise sociale. C’est un type d’humain avec des qualités et aptitudes particulières, dif­férentes de celles de l’entrepreneur capitaliste, bien qu’il partage avec ce der­nier certains traits de caractère (voir la section « Les capacités » de la Leçon 9).

Dans le plan d’affaires, les qualités des membres de l’équipe dirigeante, ses compétences, sa complémentarité, sont des facteurs souvent décisifs pour obtenir l’adhésion d’un partenaire.

Qualités morales

L’entrepreneur social se comporte selon une certaine éthique, dont les prin­cipes sont :

intégrité : il est totalement éloigné de toute forme de corruption, d’accapare­ment illicite au détriment de collègues ou de partenaires, il est soucieux de s’acquitter de ses dettes;

modestie, discrétion : il fuit les honneurs, s’éloigne de l’avant-scène;

frugalité, sobriété : sans négliger le confort ou le raffinement, il vit modeste­ment, éloigné de tout luxe ou consommation compulsive ou ostentatoire.

De ce fait il est le principal agent de la progression de la culture de l’entrepre­neuriat social au sein de son entreprise.

Qualités intellectuelles

Pour l’idéologie libérale l’entrepreneur est un passionné. Pour l’entrepreneuriat social, ce qui tend à le caractériser est plutôt la lucidité.

La curiosité intellectuelle 

L’entrepreneur social cherche le savoir, y compris en tout domaine (sciences, lit­térature, philosophie, ...). Particulièrement utile est l’histoire des sociétés et des luttes et organisations populaires.

Ce qui implique des temps de solitude pour lire, méditer, écouter des confé­rences, etc.

L’art de l’action

L’entrepreneur social se veut un artiste de l’action. Toute action réussie a trois composantes :

1.la vision : on a vu que le premier rôle de l’entrepreneur est de formuler la mission et la vision d’avenir de l’entreprise, qui est son but, sa raison d’être, ce qui donne un sens à l’action. C’est ce qui motive, mobilise et unifie les parte­naires associés :

« S’aimer, c’est regarder dans la même direction ». St-Exupéry

2. la stratégie : l’entrepreneur social cherche à maîtriser l’art de la stratégie qui dit comment atteindre un but.

Le jeu de GO chinois est une excellente Initiation à la pensée stratégique.

Exercice : apprendre les règles du GO et suivre une partie commentée.

3.l’adaptation : la vie réelle étant une suite d’imprévus, l’homme et la femme d’action s’attendent à en rencontrer sans cesse, plus souvent des « inconvé­nients » que des opportunités : l’art consiste chaque jour à en tirer partie, à exploiter ces circonstances pour avancer dans le chemin tortueux de l’action.

14.2Qualités professionnelles

L’entrepreneuriat est un métier qui s’apprend. À l’entrepreneur incombe cer­taines tâches qui lui sont propres et qu’il peut difficilement déléguer :

Constituer et consolider l’équipe entrepreneuriale : la réussite ne peut être l’œuvre d’un seul mais d’une équipe complémentaire, et le plus tôt possible il lui faut préparer la relève; l’entrepreneur qui a réussi est celui qui, étant enfin devenu inutile, quitte discrètement la scène comme au milieu d’une pièce de théâtre, alors que celle-ci continue.

Formuler la mission la vision et les métiers de l’entreprise, et réajuster en fonction des circonstances : l’entrepreneur a en charge l’âme de l’entreprise, dont tout le reste dépend; ce qui requiert imagination, indépendance d’esprit, pragmatisme.

Repérer les opportunités : ce qui suppose un suivi rapproché de la situation et des tendances du secteur économique de l’entreprise et de la société en général.

S’assurer de l’accès aux ressources clefs : intrants, technologies, expertises, financement, auprès de fournisseurs qualifiés.

Fixer les objectifs stratégiques prioritaires : à tout moment, il y a une multi­tude de tâches à accomplir, mais une seule (ou quelques-unes) est prioritaire; l’entrepreneur doit la fixer et donner ainsi une direction stratégique à l’effort collectif.

Conclure des alliances avec des partenaires stratégiques : identifier les amis de l’entreprise qui peuvent l’aider dans son projet.

Communiquer son projet d’entreprise : susciter l’adhésion des associés, des travailleurs, des clients, des investisseurs, des fournisseurs, du grand public.

Organiser, passer à l’action, ce qui signifie : traduire les objectifs stratégiques en tâches réalisables dans un délai donné, proposer des méthodes claires d’exécution, jusqu’à si nécessaires des manipulations techniques détaillées, déléguer et répartir les tâches entre les bonnes personnes, coordonner, contrôler la réalisation effective des activités.

Pratiquer l’art de la guidance participative.

C’est le savoir-faire le plus caractéristique de l’entrepreneur social. En capita­lisme, le patron décide, et les théories de management et du « leadership » manipulateur enrobent d’un voile le pouvoir absolu en dernière instance des propriétaires privés des moyens du travail.

L’entrepreneur social possède pour sa part une habilité particulière dans sa relation avec les travailleurs, celle de la guidance participative, faite d’écoute et d’incitation.

Cette habilité s’exerce au sein des structures de participation propres à l’entreprise sociale. Elle consiste pour l’entrepreneur social à :

écouter et assimiler les points de vue de toutes les parties;

distinguer le vrai du faux du point du vue de l’entrepreneuriat social;

retourner les idées reçues de façon critique;

enrichir la décision avec le vrai.

Pour une explication détaillée, lire ceci.

Exercice : évaluez-vous par rapport à ces attributs de l’entrepreneur social.

14.3Des savoir-faire pratiques

Chef s’orchestre, l’entrepreneur social efficace a tout intérêt à savoir jouer du plus grand nombre d’instruments possibles. La polyvalence est un atout pré­cieux. Voici diverses informations et conseils utiles.

La gestion comptable

Sans devoir être comptable, l’entrepreneur doit posséder des notions de base en comptabilité pour pouvoir échanger avec comptables, investisseurs, bail­leurs, administrations, etc.

Les rapports comptables

Il y a deux types de rapports principaux :

Le bilan qui montre la situation financière à un moment donné avec :

l’actif ou les avoirs : courants ou à court terme (argent en banque, petite caisse, factures à recevoir des clients) et à long terme (équipements);

le passif ou les dettes : à court terme (factures à payer aux fournisseurs) et à long terme (les apports des investisseurs).

L’état des résultats montre la situation financière sur une période donnée avec :

les revenus gagnés

les dépenses effectuées;

la différence comme résultat positif ou négatif.

Débit et crédit

Un jour ou l’autre l’entrepreneur est confronté aux obscures notions de débit et crédit propre à la comptabilité à double entrée. Le tableau suivant indique dans quelle colonne, débit ou crédit, il faut enregistrer l’ajout ou la diminution de fonds. Remarquer que l’action change de colonne selon le type de compte :

Type de rapport

Type de compte

Débit

Crédit

Bilan

Actif ou Emploi

On ajoute

On diminue

Bilan

Passif ou Ressources

On diminue

On ajoute

État des résultats

Ventes ou Revenus

On diminue

On ajoute

État des résultats

Dépenses ou Charges

On ajoute

On diminue

Ainsi, si on dépose de l’argent dans son compte bancaire, ce montant est ajouté dans la colonne débit, (ce qui n’est pas intuitif du point de vue de l’entreprise, mais l’est du point de vue de la banque qui reçoit le dépôt comme une somme qu’elle doit au déposant). Le plus souvent un bon logiciel comptable camoufle ces subtilités à l’utilisateur.

Le plan comptable

Le plan comptable du Syscohada est à adapter par le comptable. Pour cela l’entrepreneur doit pouvoir lui spécifier :

les catégories de biens selon lesquels il va souhaiter répartir les ventes;

les types de coûts selon lesquels il est utile de ventiler l’ensemble des dépenses.

La nomenclature des coûts doit permettre de distinguer les coûts selon :

leur nature : matières premières, loyer, salaires, transport, télécommunica­tion, etc.

leurs fonction dans l’entreprise : production, vente, administration;

leur comportement : coûts fixes et coûts variables;

leur caractère direct ou indirect;

leur contribution ou non à la valeur ajoutée.

Exemples :

les rémunérations des travailleurs d’un atelier sont des coûts de production variables, directs et contribuant à la valeur ajoutée;

les matières premières achetées sont des coûts de production variables, directs et ne contribuant pas à la valeur ajoutée;

l’entretien annuel de machines est un coût de production fixe, indirect et contribuant à la valeur ajoutée;

l’abonnement mensuel à Internet est un coût d’administration fixe, indirect et ne contribuant pas à la valeur ajoutée.

Les outils de gestion comptable

L’externalisation de la gestion comptable est une option. Mais il demeure préfé­rable pour l’entreprise de gérer sa comptabilité à l’interne afin de pouvoir répondre rapidement à des demandes externes de partenaires comme les investisseurs.

Un exemple de tenue comptable simple sur Excel.

Il est important de conserver numéroter et classer les pièces comptables, ou mieux de les numériser et de les relier aux entrées comptables.

La trésorerie

Un souci central et permanent de tout entrepreneur est la gestion de la liquidité : l’entreprise doit en permanence pouvoir payer les charges courantes nécessaires à son fonctionnement (loyer, rémunérations, internet, etc.).

Tant qu’elle le fait, elle reste en vie, tous les espoirs sont permis, elle continue alors à opérer et donc à réaliser sa mission.

Une façon simple et utile de calculer la liquidité est de faire le rapport suivant :

Fonds disponibles à court terme
(argent en caisse, factures clients recevables, autres entrées de fonds)

---------------------------------------------------------
Moyenne de toutes les charges mensuelles

Le résultat est le nombre de mois de tranquillité d’esprit sans souci de liqui­dité, et donc le temps alloué pour trouver les fonds pour les mois suivants. Neuf mois est un délai merveilleux. Pour s’y approcher, il faut :

Diminuer le dénominateur

Pour cela il faut réduire les charges et obtenir des délais de paiement.

Par exemple : entrepreneurs et travailleurs peuvent accepter de recevoir leur rémunérations plus tard quand la situation financière le permettra. Un tel scé­nario difficilement concevable en entrepreneuriat capitaliste, l’est tout à fait dans l’entreprise sociale du fait de l’association des parties prenantes qui peuvent consentir à un sacrifice financier temporaire. La démocratisation est ainsi un puissant facteur de stabilité financière.

Augmenter le numérateur

Épurer les comptes à recevoir, augmenter les ventes, obtenir des finance­ments sociaux à court ou long terme, tels sont les moyens.

Les technologies de l’information

L’utilisation des technologies de l’information étant une composante nécessaire de toute entreprise moderne, certaines connaissances de base sont nécessaires.

Les ordinateurs

Certaines caractéristiques essentielles sont :

processeur : 1+ GigaHertz

mémoire vive : 4-8 GO

système d’exploitation : Win10, 64 bits etc.

espace disque : 500+ GO

Les applications logicielles

Quelques indications :

Bureautique, mise en page, graphisme : MSOffice/ LibreOffice, Suites Adobe, etc.

Gestion du temps avec un agenda électronique : Outlook, Google Agenda, KPlan

Gestion de ses idées : Evernote

Création de schémas, chronogrammes, organigrammes : Edrawmax

Comptabilité et gestion des stocks : ODOO, Quickbook

Gestion de projets : diagramme de GANT, MSProject

Suivi des fournisseurs, clients, prescripteurs : GRC contact

Sauvegarde de tous les fichiers essentiels de l’entreprise : Dropbox

Courriel professionnel avec @nom_de_l’entreprise.com plutôt que message­rie en ligne du type gmail, yahoo : Outlook, Thunderbird

Messages courts, instantannés et à faible durée de vie : Slack, WhatsApp

 Site web à www.nom_de_l’entreprise.com 

Visio conférence : Jitsi, Skype, Zoom, Google Meet, Whereby, Teams

L’argumentaire éclair

Outre les prises de parole en public et son éventuel talent d’orateur, l’entrepre­neur doit surtout pouvoir en quelques minutes présenter son projet d’entre­prise et convaincre avec un argumentaire éclair (elevator pitch en anglais). Avec en tête le modèle stratégique de l’entreprise, il dispose de moins d’une minute pour présenter :

l’intérêt du projet par une accroche;

le problème : le pourquoi, le contexte du projet;

la solution trouvée : le couple produit/utilisateurs;

les avantages uniques : le positionnement de l’offre;

la faisabilité : l’équipe, les ressources, les partenaires;

les flux de revenus estimés;

la vision : la raison d’être, le sens du projet, les impacts;

un appel : on se donne rendez-vous, venez investir, ...

La rédaction de contrats

La rédaction de contrats est une activité constante et essentielle de tout entre­preneur.

Il doit savoir rédiger des contrats spécifiques à son activité quitte à les faire valider par un juriste. Ce modèle générique de contrat aide à la rédaction.

Le plus utile est de se constituer une collection de modèles standards de contrat récurrents : de partenariat (consortium), de confidentialité, de non-concurrence, lettres d’intention, etc.).

La gestion documentaire

L’entrepreneur a autre chose à faire que de rechercher des documents internes administratifs ou opérationnels :

Conserver en un endroit sûr les documents officiels : statuts, enregistrement au RCCM, NINEA, etc., et disposer de copies numérisées.

Classer et ranger tous les documents physiques et numériques selon un plan de classification (à reproduire dans la structure des dossiers de l’ordinateur); la chose à éviter est de mettre côte à côte ses fichiers sur le Bureau de l’ordi­nateur. Voir ce modèle (trop élaboré) de plan de classification pour inspira­tion.

La traduction

La traduction rapide en d’autres langues est parfois nécessaire.

Les contraintes fiscales et administratives

Pour se protéger contre les intrusions des administrations publiques, il importe que l’entreprise remplisse méthodiquement ses obligations légales et fiscales. Ce Guide résume les principales lois et réglementations en vigueur au Sénégal s’appliquant aux Sociétés.

En particulier, la Société doit veiller à bien :

Effectuer les déclarations et les remises mensuelles ou trimestrielles de la TVA et des retenues sur les rémunérations d’éventuels prestataires de services.

Faire la déclaration fiscale annuelle et payer l’impôt minimum forfaitaire (IMF) ou l’impôt calculé.

Payer toute cotisation pour des assurances sociales que l’entreprise aura déci­der collectivement et démocratiquement de prendre pour ses membres.

Les travailleurs ayant désormais le statut d’entreprenants associés, c’est à eux-mêmes qu’il revient de payer leurs impôts et cotisations pour des assurances personnelles.

 

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