Former autrement pour entreprendre solidairement
Leçon 9 Le choix du projet d’entreprise
Dans cette leçon :
Après la théorie, on aborde avec cette leçon la pratique de l’entrepreneuriat social.
•Comment, ici et maintenant, identifier, préparer, lancer et diriger un projet d’entreprise s’approchant du modèle de l’entrepreneuriat social tel qu’exposé dans les leçons précédentes?
•Comment concrètement construire une entreprise efficace et rentable, au service prioritairement d’une mission sociale, et associant ses partenaires dans une organisation bien structurée et en démocratisation continue?
Cet ordinogramme présente l’ensemble des étapes logiques que tout entrepreneur social doit parcourir pour réaliser son projet d’entreprise. Dans la pratique ces tâches ne s’exécutent pas strictement dans l’ordre, mais chacune doit l’être à un moment donné.
A l’origine d’un projet d’entreprise, il y a une décision personnelle de l’entrepreneur.
Il y a une mauvaise raison pour ne pas entreprendre : les « moyens » manquent! Mauvaise excuse alors qu’on n’est même pas en position de chiffrer précisément ces moyens manquants. La bonne méthode est l’inverse : définir d’abord son projet, ses objectifs, sa stratégie, en faisant comme si les moyens existent ou existeront, puis, connaissant ces moyens nécessaires et pouvant les chiffrer, faire ce qu’il faut pour les trouver.
Pour décider d’entreprendre, décision qui peut être très lourde à l’échelle individuelle, l’entrepreneur se doit d’interroger ses motivations et ses capacités : sont-elles à la hauteur?
•La culture capitaliste dominante met de l’avant les motivations individuelles et individualistes de l’entrepreneur : être un « winner » (gagnant), un passionné, un champion : l’accomplissement personnel est la valeur suprême quand ce n’est pas l’argent.
•Pour l’entrepreneur social, tout en cherchant à réaliser son potentiel individuel et à gagner sa vie, ses motivations sont davantage de l’ordre des valeurs, de la philosophie, de la spiritualité. Elles s’expriment dans sa volonté d’apporter consciemment une contribution à sa communauté, à sa société, à son pays, à l’humanité. Or en fait, c’est en s’engageant ainsi socialement que l’individu réalise au mieux son potentiel personnel.
Les qualités particulières de tout entrepreneur sont généralement les suivantes :
•Compétence de métier : formation, expérience professionnelle, expertise.
•Confiance en soi, sentiment de contrôler soi-même son destin, le résultat dépend de soi.
•Créativité et réalisme : rêveur solitaire et observateur attentif de son environnement.
•Flair, capacité de perception des opportunités.
•Sens de l’initiative.
•Audacieux et prudent en même temps.
•Organisateur, peut concevoir des processus de travail, définir répartir déléguer contrôler les tâches.
•Communicateur clair, concis, convaincant.
•Tolérant au risque et au stress.
Exercice : Évaluez votre propres profil entrepreneurial à partir de ces qualités.
Voir aussi ce questionnaire : avez-vous le profil d’un entrepreneur?
L’entrepreneur social possède par ailleurs des qualités supplémentaires : voir leçon 14 « Les entrepreneurs sociaux »
Les considérations personnelles
La nécessité s’impose de prendre en compte les aspects liés à sa vie personnelle qui peuvent favoriser ou freiner la réalisation du projet :
•ses atouts : goûts, aptitudes, talents, relations, etc.;
•ses contraintes : charges financières, temps disponible, lieu de résidence, support de la famille, etc.
•Plutôt que d’entrepreneur, il est plus approprié de parler d’équipe entrepreneuriale.
Une personne peut être l’âme d’un projet, mais ne peut posséder toutes les compétences et n’est pas exempte d’erreurs que seule la collaboration avec des collègues permet d’éviter. La réussite d’une entreprise ne peut être que celle d’un collectif d’entrepreneurs. De plus, la qualité de l’équipe est souvent le principal critère des investisseurs. Une entreprise sociale est au final dirigée par une équipe entrepreneuriale.
•Le défi est alors d’assurer l’unité et la cohésion de l’équipe entrepreneuriale.
Or la première raison de l’échec des entreprises est le conflit entre les dirigeants, causé par :
•les désaccords sur l’orientation ou les décisions stratégiques;
•le manque de fonctionnement démocratique;
•l’absence d’éthique dans les comportements (conflit d’intérêt, abus de biens sociaux, passivité).
•Pour réduire ce risque de conflits internes, un moyen est que les entrepreneurs sociaux signent un pacte précisant les conditions de leur collaboration.
Voir Le pacte d’entrepreneurs sociaux
9.2Trouver son idée d’entreprise
Une fois prise la décision d’entreprendre socialement, un effort de recherche et d’imagination s’impose pour identifier de bons projets d’entreprise.
Cet effort ne se limite pas au moment initial du parcours de l’entrepreneur. Trouver de bons projets d’entreprise est une tâche continue de l’entrepreneur, car les circonstances changent et créent de nouvelles opportunités et menaces.
Très souvent en Afrique, si une affaire semble marcher, plusieurs s’y engouffrent : comme si trouver une idée d’entreprise consistait à imiter les succès apparents, jusqu’à saturation de l’offre.
D’autres font de l’innovation à tout prix (surtout de nature technologique), une composante nécessaire d’une entreprise sociale. Pour eux ne pourrait être sociale une entreprise qui ne ferait que refaire ce que d’autres ont fait pendant des années avec des méthodes traditionnelles.
L’entrepreneur social pour sa part repère des idées d’entreprises essentiellement en fonction de critères sociaux, modulés par certains critères personnels. Sur cette base, il imite ou il innove selon ce qui convient le mieux de ce point de vue.
Les critères sociaux
En entrepreneuriat capitaliste, l’opportunité d’affaires est nécessairement liée à l’existence d’un marché solvable présentant un bon potentiel de profitabilité : il y a de l’argent à faire!
En entrepreneuriat social, c’est le bénéfice social et l’impact sociétal qui sont les considérations premières et principales, tout en tenant compte de la possibilité d’assurer l’autonomie financière. Aussi la recherche d’idées de projet repose sur l’analyse des éléments suivants :
•les problèmes de société;
« Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». (Winston Churchill)
•les besoins et attentes des populations;
•les classes populaires comme utilisateurs visés.
Exercice : Suivez dans les media les actualités pendant une semaine et identifiez des idées d’entreprises à partir des problèmes besoins ou utilisateurs révélés dans les nouvelles.
La recherche de technologies adaptées au contexte africain est une façon détournée d’identifier des besoins sociaux qui pourraient être satisfaits avec ces technologies.
Par adaptée, on signifie, outre la correspondance aux besoins :
•la robustesse de la technologie;
•la disponibilité des pièces de rechange;
•la possibilité d’apprentissage;
•l’usage intensif de main d’oeuvre.
Illustration : la microgazéification
Exercice : À partir de ces sites ou d’une recherche sur Internet avec les termes « appropriate Technology » et « technologie adaptée », identifiez des technologies qui aideraient à trouver une idée d’entreprise.
https://solarimpulse.com/efficient-solutions
http://www.unido.or.jp/en/activities/technology_transfer/technology_db/
https://www.plugthesun.com/fr/
https://www.apptechdesign.org/design-library
9.3Transformer l’idée en projet
Une idée d’entreprise demeure une hypothèse. Pour qu’elle devienne un véritable projet, il faut la valider. Cette validation doit se faire à deux niveaux, technique d’une part, socio-économique et environnementale, d’autre part.
L’idée d’entreprise doit être réaliste, c’est-à-dire réalisable techniquement. La faisabilité se vérifie en répondant aux questions suivantes :
•Quelles ressources clefs sont nécessaires, sont-elles disponibles, accessibles, à quelles conditions, comme :
•une technologie identifiée et opérationnelle,
•certains équipements et outils,
•des terrains ou bâtiments,
•certains intrants et matières premières?
•Quelles sont les contraintes éventuelles : de délais, de coûts, de normes de qualité, légales?
•A-t-on ou peut-on acquérir les capacités opérationnelles :
•l’expertise et savoir-faire disponibles?
•l’apprentissage de la technologie?
•l’accès au réseau de distribution et à la clientèle?
C’est après répondu positivement à ces questions que l’on peut confirmer la faisabilité technique du projet. Sinon il faut trouver un autre projet.
L’étude socio-économique et environnementale
La méthode capitaliste ne s’intéresse qu’à des études de marché : y a-t-il suffisamment de clients capables d’acheter les produits et services?
En entrepreneuriat social, on cherche d’abord à savoir si les solutions proposées répondent aux besoins des couches populaires visées et sont respectueuses de l’environnement. Ensuite on prend en compte les capacités financières pour évaluer la viabilité économique.
L’étude socio-économique et environnementale se situe à deux niveaux.
1.Étude globale
Elle situe le projet dans le contexte du secteur ou de l’industrie où opère l’entreprise, à l’échelle nationale, ou régionale ou internationale selon la pertinence. Des recherches documentaires et statistiques sont nécessaires à cette fin.
2.Étude particulière
Elle porte sur le secteur particulier que vise l’entreprise et porte sur les éléments suivants
Objectifs de l’étude |
Utilité |
Distinction entre utilisateurs (bénéficiaires de l’offre), acheteurs (clients), prescripteurs (recommandent) |
Distinguer l’impact social et le potentiel économique |
Segmentations des utilisateurs et des clients (regroupement en groupes homogènes) |
Mieux définir les cibles |
Les besoins réels des utilisateurs |
Convenance des produits et services en regard des besoins |
Comportements, attitudes, motivations, valeurs, objections des utilisateurs et acheteurs, leurs critères de décision d’utilisation et d’achat |
Adapter les méthodes de communication, de vente, de support |
Prix psychologiques, prix que le client est prêt à payer |
Proposer des prix réalistes |
Estimation de la taille des cibles, utilisateurs et acheteurs |
Faire des prévisions de vente |
Concurrents par segments et leur offre |
Mieux se positionner, se différencier face à la concurrence, estimer la part de la clientèle qui peut être gagnée |
.
Pour réaliser l’étude d’utilité sociale et environnementale, il faut préparer le questionnaire, mener l’enquête sur le terrain ou réaliser un focus groupe.
L’étude peut se réaliser aussi selon une démarche itérative (dénommée lean startup en anglais) consistant à créer un premier prototype de la solution, le tester, apprendre des retours des clients pour ajuster, retester, et ainsi de suite jusqu’à confirmation de l’acceptabilité technique et sociale.
Le Lean Startup est une méthode qui permet de démarrer une activité économique de manière “pragmatique” avec un minimum d’investissement au départ. L’idée? Imaginer le concept, le tester auprès de quelques utilisateurs, valider ou non les hypothèses que l’on avait initialement posées, puis faire d’autres hypothèses pour faire évoluer le produit ou le service que l’on compte proposer.
A cette étape, l’entrepreneur :
•a identifié un bon projet d’entreprise :
•a vérifié qu’il était faisable pratiquement;
•a confirmé qu’il présentait une réelle utilité sociale, dans le respect de l’environnement, et reconnue comme telle par la population visée;
•a conclu qu’il présentait un potentiel de rentabilité.
Le projet en soi est donc réalisable et souhaitable.
Faut-il pour autant aller de l’avant avec ce projet? Il y a une décision « go / no go » à prendre : j’y vais ou je n’y vais pas?
Tout dépend alors de l’analyse stratégique du moment actuel. Un outil neutre aide à faire ce diagnostic : l’analyse FFOM (SWOT en anglais) qui met en relation dans un tableau : Forces, Faiblesses, Opportunités, Menaces)
Facteurs |
Positifs : atouts |
Négatifs : handicaps |
Dans l’entreprise |
Forces Ressources matérielles, humaines, technologiques, ... accessibles Relations, réseau |
Faiblesses : Ressources manquantes Isolement |
Dans l’environnement |
Opportunités : Problèmes non résolus Besoins non satisfaits Utilisateurs non desservis Capacités ou technologies nouvelles |
Menaces : Dangers provenant de monopoles et concurrents Changements technologiques Nuisances légales, institutionnelles |
:
Avec ce diagnostic, l’entrepreneur peut voir comment il pourrait :
•accroître encore ses forces;
•identifier de nouvelles opportunités.
Mais surtout, il mesure son défi : quelles actions il devrait prendre pour :
•colmater ses faiblesses;
•se prémunir contre les menaces.
Au final, la question est de savoir si les raisons positives (internes et externes) pour se lancer dans le projet, l’emportent sur les facteurs négatifs? Ceux-ci constituent-ils un défi qui peut être relevé? La réponse peut être positive comme négative.
Si l’analyse stratégique conclue à un décision positive, tout ne se passera pas nécessairement comme prévu. Des risques de différentes natures demeurent, qu’il faut évaluer :
•risques opérationnels : technologie déficiente, pénurie de matières premières, production défaillante en quantité qualité ou délais, mauvaise distribution, etc.;
•risques de clientèle : les utilisateurs visés adoptent plus lentement ou insuffisamment les biens offerts, générant ainsi des menaces pour la liquidité financière;
•risques de contexte : arrivée soudaine d’un concurrent, de produits de substitution, d’une technologie plus avancée, d’une réglementation défavorable, etc.
La seule identification de ces risques rassurent tout investisseur potentiel. Un projet paraîtra d’autant plus solide que les risques seront évalués et feront donc l’objet d’une vigilance continue.
La meilleure protection contre les risques est de toujours, en toute matière, chercher à avoir un « plan B » : une et même plusieurs autres options conservent la liberté d’action, augmente les chances de continuité du projet.
Pour une bonne gestion des risques, retenir ces maximes :
« Anything that can go wrong will go wrong. » (Tout ce qui peut mal tourner tournera mal)
« La force d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible. »
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