Former autrement pour entreprendre solidairement

Leçon 12 Le plan d’organisation démocratique

Dans cette leçon :

L’objectif de démocratisation

Le choix tactique d’un statut juridique

Le remplacement du salariat par le partenariat

Le contrat d’association

Les pratiques de démocratie participative

12.1L’objectif de démocratisation

Le plan stratégique de l’entreprise sociale précise les objectifs et les activités à réaliser pour accomplir sa mission sociale et produire les impacts recherchés.

Le plan d’organisation dit comment l’entreprise va se structurer et fonctionner pour diriger, piloter, gérer l’entreprise : comment en somme sera mis en œuvre le processus de prise de décision démocratique qui caractérise aussi l’entreprise sociale. (Voir L’entreprise sociale, une association de démocratie participative)

En attendant une société où l’entrepreneuriat social sera la règle, la question pratique qui se pose est : que peut-il être fait, sous le capitalisme, pour avancer, ici et maintenant, dans la voie de la démocratisation?

La réponse dépend d’abord des institutions qui seront mises en place. En pra­tique trois questions se posent, celles du statut juridique de l’entreprise, du rap­port salarial, et de la mise en place de l’association.

Ensuite c’est le fonctionnement réellement démocratique au sein de ces institu­tions, pas seulement dans la forme mais aussi dans les faits, qui est l’enjeu.

12.2Le choix tactique d’un statut juridique

Par rapport au modèle institutionnel de l’entreprise sociale, (« Les institutions démocratiques de l’entreprise sociale »), aucun des statuts juridiques existants conçus pour les entreprises capitalistes ne convient. Aucun ne permet de recon­naître et de mettre en œuvre le caractère d’association démocratique de l’entreprise sociale.

Que faire alors en l’absence de, et en attendant, un statut juridique adéquat? Dans l’immédiat, compte tenu de la contrainte de devoir pendant encore un certain temps opérer en contexte capitaliste, l’entreprise sociale est obligée d’avoir une existence juridique formelle selon les lois en vigueur (ne serait-ce que pour ouvrir un compte bancaire, signer des contrats, etc.). Elle est donc bien forcée de fonctionner sous couvert d’un statut juridique existant.

Ce choix obligé d’un statut de Société est alors en réalité un choix tactique secondaire. Car le vrai processus de décision sera ailleurs, dans les organes internes de l’association que l’entreprise sociale va se donner, en ignorance des règles officielles. C’est pourquoi aucun statut juridique courant (société com­merciale bien sûr, mais aussi coopérative, mutuelle, association, fondation, etc.), ne peut servir de critère pour définir une entreprise sociale.

En conséquence, n’importe quel statut officiel peut faire l’affaire, tout en tenant compte des considérations suivantes.

La coopérative est basée sur une démocratie de pure forme des seuls coopé­rants (une personne, un vote en général). Elle applique à l’entreprise les modalités de la démocratie représentative de la plupart des sociétés libérales pro-capitalistes. Ainsi les travailleurs des coopératives comme groupe en sont exclus comme dans toute Société commerciale, même si individuellement ils peuvent y détenir des parts sociales (comme des employés peuvent détenir des actions de la Société commerciale de leur entreprise). La coopérative, bien que sympathique, n’est pas en soi un cadre pour l’exercice d’une véri­table démocratie participative. Tactiquement, elle peut toutefois faciliter les choses, constituer une étape, permettre de construire un réel projet de démocratisation.

La SAS (Société Anonyme Simplifiée) avec éventuellement un capital variable est un statut plus souple et moins coûteux que la SA (Société Anonyme) ou la SARL (Société À Responsabilité Limitée). Elle peut très bien servir de façade juridique à une entreprise sociale, de même que le GIE, formalité encore plus simple et moins coûteuse.

Dans le contexte d’une entreprise sociale, les actionnaires (ou associés ou coo­pérateurs) de la Société ne sont alors que de simples exécutants de l’entreprise sociale, chargés de la tâche fastidieuse des formalités juridiques officielles de l’entreprise. Leurs actes, décisions et signatures ne sont que ceux dictés par les véritables organes de décision hors du statut de la Société servant de façade à l’entreprise sociale.

12.3Le remplacement du salariat par le partenariat

L’entreprise sociale, initiée par des entrepreneurs, aura besoin de travailleurs associés. Sans existence juridique propre, l’entreprise sociale ne peut les recru­ter elle-même. C’est donc la Société légale, agissant au nom de l’entreprise, qui lui rendra ce service de formaliser les ententes de recrutement.

Selon le droit capitaliste, une Société recrute en général en embauchant des « salariés ». Or un des deux piliers du capitalisme est justement (avec la mar­chandise), le salariat. Rapport d’exploitation (la plus-value empochée par le capitaliste), le salariat est aussi, selon la loi et dans les faits, un rapport hiérar­chique de subordination entre les capitalistes et les travailleurs, basé sur la pro­priété privée des moyens du travail. Ce rapport salarial est ainsi l’exact contraire du principe démocratique de l’entrepreneuriat social.

La Société agissant pour une entreprise sociale ne peut donc pas engager des salariés. Une entreprise sociale mettant en œuvre un modèle alternatif à celui de l’entreprise capitaliste, elle ne peut donc s’associer des travailleurs sur la base de CDD et de CDI. Que peut-elle alors faire sous la contrainte de la légalité capitaliste existante.

Le principe général de la solution est de remplacer les contrats prévus au Code du travail par des contrats de type consortium ou partenariat. Dans un consor­tium, des opérateurs économiques s’associent pour réaliser un même projet et déterminent les rôles et contributions de chacun, et comment ils vont fonction­ner ensemble.

Dans un contexte d’entrepreneuriat social, il s’agit donc que la Société s’associe avec chaque travailleur pour la réalisation d’un projet d’entreprise dans un cadre de partenariat. La Société ne sera plus un donneur d’ordre, ni le travail­leur un salarié. L’un et l’autre seront comme des entrepreneurs indépendants coopérant à égalité en vue d’un projet commun.

Il faut pour cela que chaque travailleur se présente devant la Société comme un entrepreneur individuel indépendant. Il doit donc acquérir ce statut d’entrepre­neur. Le statut d’« entreprenant » prévu dans le droit OHADA lui permet d’acquérir facilement ce statut. Le travailleur-entrepreneur peut ensuite conclure un contrat de partenariat avec la Société, où il apporte avec d’autres ses propres services et ressources pour la réalisation d’un ou de projets com­muns.

12.4Le contrat d’association

L’habillage juridique étant mis en place, il reste le principal, la structure et le fonctionnement pratique de l’association, où se réalisera le pilotage de l’entre­prise sociale. Les statuts de la Société commerciale officielle qui servent d’écran à l’entreprise réelle, sont ignorés. À la place, un contrat d’association est conclu entre toutes les personnes physiques associées au projet d’entreprise :

d’une part les entrepreneurs initiateurs et guides du projet,

d’autre part les travailleurs formellement en consortium avec la Société sur la base de leur statut formel d’entreprenant.

Le contrat d’association traduit en texte le Schéma de l’entreprise sociale. Il décrit les institutions où les membres de l’association vont délibérer et décider du pilotage collectif de l’entreprise.

Cette association de fait d’entrepreneurs-travailleurs sera non enregistrée, la chose étant juridiquement impossible dans un contexte capitaliste. Seule une société postcapitaliste promulguant une Loi portant création du statut d’entre­prise sociale pourrait enregistrer une entreprise sociale en tant qu’association démocratique à objet économique, à finalité sociale, et à lucrativité optimale.

12.5Les pratiques de démocratie participative

Comme expliqué à la section « La démocratisation participative en acte » de la leçon 6, les institutions ne sont pas le tout de la démocratisation : s’y ajoutent aussi, les pratiques réelles au sein de ces institutions.

L’association crée la possibilité d’une démocratisation croissante, elle ne peut empêcher les comportements autoritaires et unilatéraux. La démocratie n’est pas seulement une question d’institutions, elles est aussi affaire de culture. Et plus la culture démocratique est élevée, plus les institutions ne servent que de garde-fou.

Le plan d’organisation doit donc inclure des objectifs et des actions en vue de mettre en œuvre les bonnes pratiques démocratiques. C’est un terrain ouvert à la créativité et à l’expérimentation.

 

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